Ivres, les journalistes mélangent tout !

Publié par Benjamin Rosoor  /   juin 20, 2014  /   Posté Actu, Etudes de cas  /   9 Commentaires

Quand  le TGV Bordeaux/Lille dans lequel 140 patrons du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD) font du « chahut » après un pique-nique convivial (comprendre avec du vin) est arrêté en gare de Saint-Pierre-des-Corps avec une compagnie de maintien de l’ordre en protection, c’est le badbuzz assuré. Mais la faute à qui ? A la presse, au préfet ou aux patrons ? Analyse.

Disclosure : Je suis membre du CJD d’Arcachon, représentant du CJD Aquitaine au CESER Aquitaine. J’aurais pu être dans ce train si je n’avais pas eu d’obligations professionnelles qui m’ont malheureusement empêché de participer à ce Congrès de Lille où se rendaient les dirigeants aquitains. Mais je vais tenter d’être le plus objectif possible dans cette analyse.  J’ai été journaliste pendant 10 ans entre 1989 et 1999. Le titre illustrant le reste du propos.

Les faits : un groupe de 140 jeunes dirigeants d’Aquitaine est en route pour son congrès bi-annuel à Lille via un TGV Bordeaux/Lille. Ils avaient réservé un wagon entier dans un autre train, mais en raison d’une grève, ce train est annulé. Ils sont invités à prendre le train suivant, sans places réservées. Ils se retrouvent donc en voiture-bar.
Habitués aux déplacements festifs, ils entament des chants et dansent des « paquitos » dans la voiture-bar. C’est l’heure du déjeuner. Des bouteilles de vin sont ouvertes.

Ce chahut « bon enfant » panique visiblement le responsable de la voiture-bar et le chef du train. Les forces de l’ordre sont alertées, le TGV est stoppé à St-Pierre-des-Corps. Une compagnie de policiers en tenue de maintien de l’ordre (casques, protections, etc.) est mobilisée devant le wagon. 45 minutes après cet arrêt, alors que les bouteilles sont posées sur le quai et les wagons nettoyés par les jeunes dirigeants, le train repart. Aucune plainte de voyageur n’est à signaler.

Déclenchement du buzz

1er article de la Nouvelle République.fr, journal local.
Un photographe est sur place, il montre la compagnie de maintien de l’ordre.
Le titre : 160 patrons ivres sèment le trouble dans le TGV
la rubrique : Vienne – Saint-Pierre-des-Corps – Fait divers
Le contenu : Dans le chapeau, on insiste sur « des patrons ivres ». Dans le corps du texte, le déploiement de force est indiqué comme un « curieux spectacle ».

2ème article en ligne : La Charente libre
Le titre : 120 patrons ivres font stopper le TGV.
On notera que la photo d’illustration est un exercice de maintien de l’ordre de l’école de gendarmerie de St-Astier.

Viendront ensuite, dans les 24 heures, plus de 46 articles, très commentés, des citations à la radio et à la TV, avec toujours les mêmes mots-clés :
Ivres | Patrons | Excités | Nombreux | Pas dans le bon train | Bouteilles accumulées | Pas d’interpellation | Retour au calme

cjd policeSur les réseaux sociaux, notamment Facebook, l’information est très partagée : 4500 partages pour l’article du Parisien, 1000 partages pour celui de FranceTV.fr , etc. Le CJD décide de ne pas réagir à chaud mais finalement, un communiqué sera publié sur Facebook avec notamment des photos pour illustrer le côté « bon enfant » de l’ambiance où les « jeunes dirigeants » posent avec les policiers.

Eléments de contexte déclencheurs :

  1. Il y a une grève à la SNCF, le train est une problématique importante ce jour-là. Mais le sujet s’essouffle (fin de mouvement) et sur le coup, un angle vraiment différent.
    « un train est stoppé mais pas par des grévistes, par des patrons ».

On notera la publication la semaine précédente d’une chronique du président du CJD  rappelant les dirigeants des syndicats grévistes à la responsabilité

  1. Les mouvements sociaux, intermittents, SNCF, mettent une pression supplémentaire sur les Préfets, celui d’Indre-et-Loire a visiblement sur-réagi en mobilisant un compagnie de maintien de l’ordre.
  2. Le pacte de responsabilité, le positionnement du Gouvernement avec des propositions « pour les entreprises » donc pour les patrons.
    Cette histoire entre en résonance : « un comportement irresponsable de patrons ».

Eléments secondaires

Le web, Twitter, Facebook poussent la publication d’informations « légères,drôles, etc. » On notera ainsi, les titres qui utilisent la formule : Ivres,  un phénomène : http://www.ivrevirgule.fr/

La presse a besoin de faire de l’audience, aime le pathologique et le différent.

Les commentaires des « lecteurs » sont édifiants et montrent la rupture entre les « patrons » et les citoyens :

Patrons !,patrons de quoi ?elles sont belles les forces vives de la nation ! on est mal !
Et bien voilà, ils utilisent la réduction des salaires (charges) pour se balader, se soûler. Les patrons Français c’est aussi cela !
Il faut envoyer la facture au CJD.
Tout simplement honteux. Ils se plaignent toute la journée qu’ils ne peuvent pas faire tourner leurs entreprises et ils s’éclatent dans des séminaires pendant que leurs employés bossent durement pour eux pour des salaires ridicules ! Et après ils vont demander l’aide de l’Etat (donc des contribuables) pour qu’on vienne sauver leurs entreprises ! Honteux !

Conclusion :

Le contexte et la population concernés ont transformé ce buzz en « bad buzz ». En effet, si l’on reprend les faits, dans une situation similaire « des supporters de l’équipe de France montant à la capitale en train pour un match du tournoi des 6 nations », il n’y aurait sans doute pas eu autant de bruit, cela aurait été présenté comme une situation « normale » voire prévisible.

Si l’on prend une autre situation où l’alcool fait faire des bêtises, le kidnapping du Lama par des jeunes bordelais a été présenté très positivement. Une blague de potache, une bulle d’oxygène dans un monde triste et dur.

On notera donc, que la « fonction » impose une exemplarité totale. Le « patron » ne peut pas perturber le fonctionnement d’un service parce qu’il est en train de s’amuser !

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A propos de Benjamin Rosoor

Fondateur de l'Agence Web Report. Expert en e-réputation. Auteur de l'ouvrage : agir sur l'e-réputation de l'entreprise. ed Eyrolles. Spécialiste des médias sociaux. Formateur, conférencier et consultant e-réputation

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